16 mars 2017

Comme introduction à mon allocution, vous me permettrez de vous mettre à jour brièvement sur le Sénat canadien, tel que je le vois aujourd’hui dans notre système parlementaire.

Nous avons assisté à de nombreux changements depuis ma nomination au Sénat par le Premier ministre Martin en 2005. Ce fut particulièrement le cas ces derniers mois avec, en particulier, la mise en place d’un nouveau système de nominations dans une institution où tous et toutes, s’ils rencontrent les critères de base, peuvent maintenant poser leur candidature et être considérés pour en devenir membre.

C’est en vertu de cette nouvelle méthode que 30 nouveaux sénateurs ont été nommés depuis l’élection du gouvernement Trudeau en octobre 2015.

Depuis aussi longtemps qu’on se souvienne, le Sénat avait presque toujours fonctionné sur la base d’une répartition partisane. Même si la partisannerie a été de tout temps beaucoup moins prononcée qu’à la chambre basse, la répartition des forces au Sénat était plus que moins calquée sur la composition de la Chambre des communes en ce qui concerne le parti au pouvoir et l’opposition officielle: essentiellement des Libéraux et des Conservateurs et vice-versa, selon les périodes.

Une fois élus, les gouvernements s’empressaient de nommer des sénateurs pour s’assurer que leurs projets de loi seraient adoptés sans trop de problèmes par le Sénat.

Or, avec la nouvelle méthode de nominations, les portes du Sénat se voient dorénavant ouvertes à des Canadiens et Canadiennes de toutes tendances, de la gauche à la droite du spectre politique, où l’affiliation politique « du bon bord » n’est plus la règle de base dans la nomination des sénateurs et le fonctionnement du Sénat.

En fait, c’est devenu presqu’impossible pour quelqu’un qui a fait de la politique active au niveau fédéral d’être considéré pour une nomination au Sénat.

Au-delà des controverses qui ont touché et continuent de toucher quelques sénateurs ces derniers mois, et dont il fut abondamment question dans les médias, l’institution suit son cours.

Le Sénat constitue toujours la Chambre haute de la démocratie parlementaire canadienne. Les 105 sénateurs du Parlement canadien ont la charge d’examiner les projets de loi, de proposer de les améliorer et d’y corriger les erreurs qui parfois s’y glissent.

Je pourrais vous donner de nombreux exemples où le Sénat est intervenu pour bonifier, ou bloquer la route à des projets de loi mal attachés, mais on pourra en reparler en période de questions si vous le souhaitez.

Pour devenir loi au Canada, un projet de loi doit toujours recevoir l’aval de et de la Chambre des communes, et du Sénat.

En plus de son rôle de législateur, le fonctionnement du Sénat, tout comme celui de la Chambre des communes, repose aussi sur un système de comités permanents ou temporaires, ou parfois conjoints avec la Chambre des communes, qui se penchent sur différents projets de loi et enjeux de la société canadienne, la question du transport aérien étant un de ceux-là.

J’y reviens dans un instant.

Malheureusement, malgré l’excellent travail qui s’y effectue continuellement, - et j’ai été à même de le constater de près depuis ma nomination -, les travaux des comités du Sénat reçoivent en général très peu d’écho dans les médias, y compris les médias sociaux. En conséquence, les Canadiens ont en général accès à peu d’information ou d’attention sur ce qui se passe dans les comités du Sénat, (c’est aussi le cas fréquemment pour les comités de la Chambre des communes), autrement que par la consultation pro-active de nos délibérations et rapports des comités en ligne.

Par contre, les lobbyistes, les organisations non-gouvernementales et les associations d’affaires comme la vôtre suivent en général d’assez près les délibérations du Sénat, bien conscients du rôle important que l’institution joue dans le système parlementaire canadien.

Tout ceci m’amène à vous parler du Comité sénatorial permanent sur des transports et des communications, que j’ai l’honneur de présider depuis maintenant près de huit ans.

À travers les travaux de ce comité et avec mes collègues sénateurs membres de ce comité, j’ai eu l’occasion de me pencher, en plus des nombreux projets de loi que nous avons dû étudier, sur plusieurs dossiers d’intérêt pour tous les Canadiens, touchant les transports et les communications.

Mon intérêt pour le secteur des transports et des communications, et le transport aérien en particulier, ne date pas d’hier.

Dès mon élection en 1977, comme député fédéral de Louis-Hébert, une circonscription de la région de Québec, je me suis intéressé à ces questions, notamment quant au sort de l’aéroport de Québec et quant aux enjeux du transport ferroviaire dans la région de Québec.

J’ai toujours été très intéressé par ces sujets de transports et communications. Je ne me suis fait donc pas prier lorsque j’ai été élu président du comité sénatorial au printemps 2009.

Au cours des années, notre comité a été très actif. Nous avons examiné plusieurs facettes du secteur des transports et des communications au Canada, du transport par rail du pétrole jusqu’à l’avenir de la Société Radio-Canada, en passant par la sécurité automobile et bien d’autres sujets.

Mais avançons rapidement dans le temps : En 2011, notre comité se voyait « autorisé », comme on dit dans le jargon parlementaire, à examiner, afin d’en faire rapport, les nouveaux enjeux qui sont ceux du secteur canadien du transport aérien, et notamment :

  1. Sa santé et sa viabilité à long terme dans un marché mondial en évolution,
  2. Sa place au Canada,
  3. Ses relations commerciales avec les passagers; et
  4. Son importance en tant que moteur économique dans les collectivités canadiennes où les aéroports sont situés ».

En juin 2012, le rapport de notre comité, intitulé L’avenir des déplacements aériens au Canada : poste de péage ou bougie d’allumage, Rapport sur la croissance future et la compétitivité internationale des aéroports au Canada était rendu public.

Ce rapport, qui reçut une couverture inhabituellement importante pour un rapport sénatorial, rappelait que le Canada, couvrant un vaste territoire bordé par trois océans avec une population répartie dans tout le pays, faisait de l’avion un moyen de transport essentiel pour le tourisme, le commerce, les affaires et aussi pour relier les collectivités isolées au reste du pays et au monde entier.

On y rappelait l’impact économique considérable des aéroports canadiens. Les aéroports généraient alors plus de 45 milliards de dollars en activité économique, sans doute bien davantage en 2017, et leur exploitation fournit plus de 200 000 emplois, ce qui constitue une importante source de recettes fiscales pour tous les ordres de gouvernement.

Pourtant, rappelait déjà le comité, le secteur du transport aérien avait et a encore le potentiel de contribuer davantage à la croissance économique du Canada.

Les coûts élevés et les inefficiences à l’échelle du secteur freinent la demande et nuisent à la concurrence chez les transporteurs. L’industrie canadienne du tourisme et des voyages, qui était au cinquième rang dans le monde sur le plan de la compétitivité en 2009, avait glissé au neuvième rang en 2011.

Des millions de Canadiens choisissent encore de se rendre en voiture dans un aéroport des États-Unis pour y profiter de vols bon marché, au lieu de prendre l’avion à partir d’un aéroport local. Ce phénomène persiste malgré les efforts des partenaires canadiens pour l’endiguer, ou en tout cas le contrôler davantage, et malgré les aléas du dollar canadien.

Nous avions alors déterminé que le Canada devait se doter d’une stratégie nationale globale et intégrée sur le transport aérien, y compris d’une révision du Réseau des aéroports nationaux, afin de stimuler les déplacements aériens au pays.

De plus, nous énoncions clairement que le gouvernement du Canada devait cesser de traiter les aéroports comme une source de recettes publiques et les voir plutôt comme des moteurs économiques.

Pour ce faire, nous suggérions qu’il cesse d’exiger des loyers fonciers aux aéroports canadiens et céder la propriété des principaux aéroports aux administrations qui en assurent déjà l’exploitation.

Enfin, il était recommandé que le gouvernement fédéral use de son influence pour convier à la même table les intervenants pertinents afin d’établir de nouvelles politiques et de nouveaux systèmes pour remédier aux inefficiences et améliorer continuellement les déplacements aériens au Canada.

Le rapport contenait six recommandations, que je résume rapidement. Elles ont encore toute leur signification dans l’environnement actuel:

La première recommandait que Transports Canada, en collaboration avec le ministère des Finances, réunisse toutes les parties concernées en vue de mettre au point une stratégie nationale conçue pour accroître et faciliter les déplacements aériens au Canada.

La seconde appelait à une révision et une mise à jour du réseau national des aéroports.

La troisième réclamait l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’élimination graduelle des loyers des aéroports du Réseau national des aéroports.

Une quatrième recommandait que, parallèlement à l’objectif à long terme d’abolir les loyers des aéroports, Transports Canada cède la propriété des aéroports aux administrations aéroportuaires qui les exploitent.

La cinquième portait sur la gestion du trafic dans les aéroports, en recommandant que les administrations aéroportuaires de chacun des grands aéroports prennent des initiatives pour faciliter les correspondances et les transits.

Enfin, la sixième recommandation proposait que Citoyenneté et Immigration Canada instaure un programme de visas de transit à l’intention des voyageurs de l’étranger qui transitent par les aéroports du Canada.

Lorsque je relisais ces recommandations en préparation pour ma rencontre d’aujourd’hui avec vous, je me disais que tout cela faisait encore beaucoup de sens…

Mais où je veux en venir avec tout ça, me demanderez-vous?

J’y arrive.

Comme vous le savez, jusqu’au début des années 90, c’est le gouvernement canadien qui a construit, exploité et entretenu les principaux aéroports canadiens.

Comme nous le rappelait l’Institut sur la gouvernance dans un document publié en 2014, « Dans la foulée du mouvement de privatisation (Air Canada, Canadien National), de libéralisation et de déréglementation économique des divers modes de transport, le gouvernement du Canada, dans le cadre d’une nouvelle politique nationale des aéroports (PNA), a cédé la gestion, l’exploitation et le développement des aéroports de Montréal, Calgary, Edmonton et Vancouver à des administrations aéroportuaires locales (AAL) en 1992.

Cette dévolution aéroportuaire s’est ensuite étendue aux 26 principaux aéroports canadiens qui forment le réseau national des aéroports (RNA).

Cette politique prévoyait également que la propriété des plus petits aéroports régionaux et locaux serait progressivement cédée à des intérêts régionaux comme les municipalités.

Je ne vous demanderai pas de vous rappeler de tous ces acronymes à cette heure-ci mais rappelons donc qu’en vertu de la PNA (politique nationale des aéroports), la gestion commerciale et l’exploitation des aéroports du RNA (réseau national des aéroports) sont confiées à des administrations aéroportuaires canadiennes (AAC) gérées par des AAL (des administrations aéroportuaires locales) qui doivent en assurer la rentabilité et une prestation de services adaptée aux besoins des usagers.

Ce mouvement a pris son envol, sans jeu de mots, durant les années 90 alors que la gestion des aéroports, mais pas la propriété du fonds de terre, a été confiée à des sociétés sans but lucratif, créées expressément pour gérer, exploiter et développer ces infrastructures en vertu de baux à long terme.

Aujourd’hui, lorsqu’on parle de privatiser nos aéroports, on veut dire convertir les sociétés existantes en société à but lucratif à capital-actions. 

En clair cela implique que la nouvelle société pourra faire des profits qui seront versés aux actionnaires, au lieu que 100% des revenus d’exploitation, soient utilisés pour l’opération, l’entretien et le développement des infrastructures aéroportuaires tel que c’est le cas aujourd’hui.

Ce nouveau modèle serait une  « profitisation » des aéroports, si vous me permettez ce néologisme, des sociétés qui gèrent et opèrent nos aéroports en ce moment.

Il peut y avoir des variations contractuelles mais le modèle de base est celui que je viens d’énoncer.

Par conséquent, le gouvernement canadien demeure propriétaire des aéroports du RNA, sans toutefois assumer la responsabilité formelle des dettes des administrations aéroportuaires.

Néanmoins, Transport Canada s’est engagé à « garantir la viabilité à long terme du Réseau national des aéroports où transite 90% du trafic local ».

Qui plus est, les AAC doivent consacrer la totalité de leurs recettes à l’exploitation et au développement des aéroports sous leur gouverne afin de conserver leur statut d’organismes sans but lucratif. » Fin de la citation.

Avec le temps, et spécialement depuis les années 80, le champ d’intervention et de propriété du gouvernement fédéral et du ministère fédéral des transports dans le secteur canadien des transports s’est considérablement rétréci.

Il y a eu un peu d’idéologie à la base de ces changements, dans la foulée des privatisations et du retrait très à la mode des gouvernements des activités commerciales à une certaine époque.

Mais beaucoup de ces décisions ont été prises en réponse aux appétits féroces de ministères et ministres des finances, prêt à bondir sur tout ce qui peut rapporter gros pour accroître à court terme les revenus du gouvernement et boucler leurs budgets ou réduire les déficits budgétaires.

Tant et si bien qu’un ministère comme celui des Transports, qui tirait les ficelles d’une foule d’entités importantes comme le CN, les aéroports, Air Canada et bien d’autres, a vu progressivement rétrécir son champ d’action, le plus souvent qu’autrement pour se plier à la volonté des ministères et ministres des finances du moment.

Et en conséquence, le ministre des Transports qui en menait large au cabinet depuis sa création dans les années 30, s’est vu progressivement tasser dans le coin au conseil des ministres par les voraces ministres des finances.

En vue de notre rencontre aujourd’hui, je me suis d’ailleurs livré à un petit exercice :

Depuis 1935, année de sa création par le Premier ministre Mackenzie King, le ministère des Transports, qui deviendra effectif en 1936, a connu pas moins de 31 titulaires, Marc Garneau étant le dernier à avoir été nommé à la suite des élections fédérales de 2015.

Si on le fait le compte, 31 ministres sur 82 ans, ça fait une moyenne de durée en poste d’environ 2 ans et demi par ministre.

Depuis 1993 seulement, première année du retour au pouvoir des libéraux après la période Mulroney, ce ministère a été dirigé par pas moins de onze ministres jusqu’à Marc Garneau, donc pour une durée moyenne d’un peu plus de deux ans.

Deux ans, plus ou moins, en moyenne, ce n’est pas long pour imprimer une direction politique soutenue et continue, cohérente et imputable pour un secteur aussi important de notre économie.

Entretemps, au ministère des Finances, qui aura 150 ans cette année car il a été créé dès le départ de la Confédération en 1867, se seront succédés 39 ministres jusqu’à Bill Morneau, mais la moyenne de durée du mandat ici est de presque quatre ans, soit près du double de celle des titulaires des transports.

Depuis 1993, le ministère des Finances a connu cinq titulaires, dont Paul Martin pendant presque dix ans et Jim Flaherty pendant huit ans. Donc au cours des 24 dernières années, deux ministres des finances seulement ont occupé ce portefeuille, soit pour les trois quarts de cette période.

Bien sûr, on ne peut pas dresser un bilan des politiques publiques en transports au Canada sur la seule base de la longévité des ministres qui se sont succédés à la barre de ce ministère ou celui des finances.

Mais reste que pendant que des ministres des finances, en vertu, notamment, de leur longévité et leur stabilité, pouvaient nettement imprimer une direction aux gouvernements, le ministre des transports se sait assis sur une branche qui a tendance à être coupée beaucoup plus rapidement, d’où la difficulté à s’engager dans des directions qu’il ou elle sait ne pourront être promues suffisamment longtemps.

En plus, la dévolution ou la privatisation des organismes qui relevaient de son autorité, l’ont progressivement dépouillé des cartes qui pouvaient faire la force de son jeu au sein du conseil des ministres.

Je me rappelle très bien qu’à mon entrée en politique fédérale, quand je suis devenu député de Louis-Hébert en 1977, le ministère des transports en menait encore très large dans l’environnement des transports au Canada.

Je l’ai évoqué plus haut mais rappelons-nous que jusqu'en 1994, Transports Canada avait la responsabilité sur la Garde côtière canadienne, la voie maritime du Saint-Laurent, les ports et aéroports, les compagnies de la Couronne Via Rail et le Canadien National (CN).

Cette année-là, une réorganisation des ministères, menée par le gouvernement de Jean Chrétien afin de lutter contre le déficit, amputa Transports Canada d'une partie de son personnel et de ses responsabilités.

Le CN fut privatisé, la Garde côtière fut mise sous la responsabilité de Pêches et Océans Canada, la voie maritime ainsi que les ports et aéroports furent transférés aux autorités locales.

Transports Canada en ressortit comme une agence de surveillance et de règlementation avec peu de rôles directs d'administration des infrastructures, comparativement aux rôles que le ministère jouait et avait joués dans les années précédentes.

Ce phénomène a conduit à ce que j’appelle « l’apesanteur du ministre et du ministère des Transports dans l’appareil gouvernemental fédéral », un phénomène que Marc Garneau a d’ailleurs expérimenté personnellement en tant qu’astronaute dans l’espace à une époque de sa vie…

En conséquence, la ministre des Transports est devenu beaucoup moins pesant, moins entendu, moins écouté au sein du gouvernement.

Ce vide, - et la nature ayant, comme on le sait, horreur du vide, - a été progressivement occupé et continue d’être occupé par le ministre des Finances, qui a vu et continue de voir dans les actifs gérés par les Transports une source intarissable de revenus lorsqu’il doit faire face à des déficits ou des dépenses croissantes, comme c’est le cas présentement.

On peut comprendre que le ministre des finances cherche toujours des sources de financement pour combler ses déficits et payer pour de coûteux programmes d’infrastructures. On en verra sûrement des exemples dans le budget fédéral qui sera déposé la semaine prochaine.

Mais le ministre des finances devrait aussi se poser des questions sur les bénéfices pour l’ensemble de l’économie et des Canadiens et sur l’opportunité de ces dévolutions et privatisations à court, moyen et long terme, outre leur impact financier immédiat en apparence favorables au gouvernement.

Nous nous retrouvons toujours, encore aujourd’hui, dans ce genre d’environnement, où on sent des vautours tourner autour de la propriété des aéroports canadiens, guidés par la soif incessante de revenus du ministre des finances et qui semble être le guide principal des décisions à prendre.

On devrait en savoir davantage la semaine prochaine mais on sent que le ministre des finances est fortement tenté d’aller vers une privatisation des aéroports comme on font foi, encore ces derniers jours, certaines fuites dans les médias.

C’est le Toronto Star, il y a à peine une semaine, qui titrait Ottawa eyes airport sell-off to raise infrastructure cash : Ottawa envisage de vendre les aéroports pour accroître ses fonds pour les infrastructures.

Pendant que l’encerclement des aéroports comme monnaie d’échange pour les infrastructures par un gouvernement déjà aux prises avec un déficit important se précise, le ministre des Transports a lancé en novembre 2016 son projet Transports 2030.

Donc, il y a à peine quatre mois et demi, le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, présentait devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, sa stratégie pour l’avenir des transports au Canada, Transports 2030. Quelques-uns d’entre vous étaient d’ailleurs peut-être sur place pour assister à la présentation du ministre.

Ce plan Garneau, est fondé nous disait-il sur cinq thèmes autour desquels le ministre dit avoir consulté la population canadienne, les intervenants (des gens comme vous), les provinces et territoires, les universitaires et les groupes autochtones, au cours des six mois précédents. Ces cinq thèmes portaient sur 1) le voyageur, 2) le renforcement de la sécurité dans les transports, 3) le transport écologique et innovateur, 4) les voies navigables, les côtes et le nord et, 5) des corridors commerciaux aux marchés mondiaux.

En ce qui concerne tout particulièrement le transport aérien, les intentions annoncées, quoique pleines de bonne volonté, étaient plutôt minces et faisaient abstraction des intentions réelles ou appréhendées sur une privatisation complète des aéroports et autres actifs fédéraux comme les ports et les traversiers, alors que sous le thème Le voyageur, on parlait de « favoriser un plus grand choix, un meilleur service, des coûts moins élevés et de nouveaux droits pour les voyageurs en :

  • Instaurant un régime de droits des voyageurs aériens pour mieux protéger les consommateurs.
  • Modifiant les règles visant la propriété internationale pour accroître la concurrence et réduire les tarifs de notre industrie aérienne
  • Travaillant avec l’ACSTA, l’agence de sécurité dans les transports aériens, afin de s’assurer que les voyageurs franchissent le contrôle de sécurité plus rapidement, tout en conservant les mêmes normes de sécurité élevées.

Mais la vraie question que l’on doit se poser, et que ceux qui élaborent les politiques doivent aussi se poser, est la suivante : en quoi une privatisation complète de nos aéroports, et de nos ports aussi, serait avantageuse pour les usagers et les contribuables canadiens?

Il est vraisemblable de croire, à ce moment-ci, que la réponse serait négative, à savoir qu’il n’y aurait pas d’intérêt pour les Canadiens à changer le modèle de gouvernance des aéroports canadiens.

Notre modèle canadien est reconnu comme un succès à travers le monde, incluant aux États-Unis qui sont à la recherche d’un meilleur modèle de gestion de leurs propres aéroports et jettent un regard curieux envers le modèle canadien.

Conclusion

Les privatisations des dernières années, particulièrement dans le secteur des transports et communications, n’ont pas toutes été des échecs. Loi de là. Mais il faut savoir où établir la limite. On assiste présentement, dans la province voisine de l’Ontario, où l’électricité a été privatisée, à un sérieux « mordage » de pouces des autorités politiques, car cette privatisation a engendré des hausses de coûts si considérables pour les usagers que cet enjeu risque de faire tomber le gouvernement Wynne lors des prochaines élections provinciales. Car ceux qui ont investi dans la privatisation de l’électricité ontarienne l’ont fait pour une raison : ils s’attendent à un retour le plus juteux possible sur leur investissement.

La privatisation des aéroports canadiens entraînerait évidemment la conséquence que les investisseurs voudraient aussi obtenir un retour satisfaisant sur leur investissement.

Les nouveaux propriétaires ne feraient pas autrement que de rechercher le profit d’abord et avant tout, plaçant l’intérêt des usagers et des contribuables bien loin derrière.

Et il n’y a pas d’autres méthodes pour y arriver à tirer du rendement de ces investissements que de soit réduire les services ou d’augmenter les coûts pour les usagers. Il n’est évidemment pas dit que les coûts n’augmentent pas selon le modèle actuel mais au moins, ce n’est pas dans un contexte de rapporter davantage aux investisseurs mais dans un but d’améliorer les services et les installations à la disposition des usagers, tout en maintenant des structures et des mécanismes de gouvernance qui assurent transparence et efficience et imputabilité dans la gestion de biens publics.

Dans un pays de vastes distances comme le Canada, les aéroports jouent un rôle essentiel. C’est un patrimoine national qu’il faut protéger de la gourmandise des ministres des finances et des investisseurs, souvent des fonds de pension, à court de fonds pour les ministres des finances ou de projets pour les grands investisseurs.

En Australie, pays tout à fait comparable au Canada, sauf pour son climat… l’un des plus ardents promoteurs de la privatisation d’actifs publics, (son nom est Rod Sims et il préside la commission australienne sur la concurrence et les consommateurs), est devenu si exaspéré de la manière dont les gouvernements privatisent les actifs publics que selon lui, ils méritent un « uppercut », que l’on pourrait traduire au Québec par « un coup de pied au derrière », pour être poli.

Il est d’avis que les gouvernements ont tellement bâclé (« botché » comme on dirait entre nous…) à répétition la vente des aéroports, infrastructures d’électricité et ports importants qu’ils ont empiré les choses pour les consommateurs.

Les gouvernements ont créé des monopoles privés, insiste-t-il, qui surchargent les utilisateurs.

Tant et si bien qu’après avoir été un fervent promoteur des privatisations pendant 30 ans, il pense maintenant qu’elles causent de sérieux dommages à l’économie.

Bien sûr, il est parfaitement légitime de vouloir débattre de ces questions au Canada. Mais avant de s’engager résolument sur une pente glissante dont il est difficile de revenir et dont les avantages sont loin d’être prouvés, le gouvernement et le ministre des transports devraient sérieusement reconsidérer leurs options en ayant comme optique, avant de servir le bilan du gouvernement, de servir le bien-être des usagers du transport aérien au Canada et celui des contribuables canadiens.

Des Canadiens de tous les horizons, conservateurs, NPD, libéraux, neutres, sans compter plusieurs organisations plus ou moins actives dans le secteur aérien, des dirigeants d’aéroports, des organisations syndicales, des chambres de commerce, des organisations communautaires s’opposent à une privatisation complète de nos aéroports et la volonté de ministres des finances de se départir de ces actifs pour renflouer temporairement leurs coffres.

On verra la semaine prochaine ce que nous annoncera le ministre des Finances, mais la privatisation est une mauvaise idée. Espérons qu’il saisira la chance de prendre la bonne décision et espérons que le gouvernement tout entier sera là pour promouvoir et défendre les véritables intérêts des usagers du transport aérien et des contribuables canadiens.

Allocution par l'honorable Sénateur Dennis Dawson devant le congrès de l’Association québécoise du transport aérien (AQTA) Drummondville